Journées d'hier

Publié le par le déserteur

          Matin merdique, ciel merdique. Pluvieux. Tout est gris, lourd. Matinée à la con, rien à sortir de bon de ma tête. Que du flou, du léger. Ou du lourd, de l'emmerdement. Et puis ces gens, au téléphone, qui appellent. Trois fois; qui vous harcèlent. Pour un détail qu'ils ont oubliés. Et qu'on avait oublié aussi et dont on se serait bien passé. Parce que là, précisément à ce moment, on n'est pas disponible du tout pour ce genre d'affaires, de remarques. Mesquineries.

            Midi, je vais en sport, là, ça va encore. Je m'en tire en courant sur place; en soulevant de la fonte. Arrêter de penser.

            Soulever.

            Marcher.

            Ça allait (mieux) en sortant. Pouf pouf je sautille jusqu'au bureau prendre quelques dossiers. Je croise des collègues.

« alors Pierrot, on va bosser chez soi? »

            C'est tout de même plus agréable; quand on a le choix que je leur réponds. Je parcours vite fait mon bureau. Bien rangé, bien ordonné. Ça roule, on est parti.

            Je revois les choses s'enfiler comme des perles. Mais je revois pas ce qui s'est passé ensuite et je me pose la question: mais alors pourquoi en rentrant chez moi j'ai fait ma vaisselle dans un état proche de la catalepsie. De la haine plein la bouche, la rage au bord des lèvres, me voyant injurier tout seul un bol de café sale. Pourquoi est-ce que j'étais dans un état pareil? Si je remonte - le principe généalogique, savez? - ben le premier truc qui m'a mis en rogne, c'est une facture gdf envoyée à mon bureau. A mon bureau! Mais pourquoi pas l'envoyer à mes potes tant qu'on y est? A ma grand mère? Les enculés, ils me traquent! Pour 18, 70 euros que je dois pas en plus, vu que j'habite plus à l'adresse.

            Les nouveaux locataires essaieraient-ils de me baiser?

            Tout est parti de là.

            Le bol de café que j'engueule, c'est la conséquence directe de la facture. Les injures, les envies de casser la tête à tout le monde (j'imagine dans ces cas là une réflexion que pourrait me faire un ami, et je m'engueule avec. Je l'imagine à un point tel qu'il m'arrive de me demander après coup s'il ne me l'a pas effectivement dit). Tout cela, sérieusement a t-il pour origine, pour cause efficiente cette putain de facture? Vous connaissez la chose, n'est-ce pas? On est là, sur ses rails, on suit un cours normal, sans trop décider de tout, mais tout ce qui vient s'enchaîne allègrement. On se prend à être heureux, c'est-à-dire indifférent. Indifférent au grand tout qu’on maitrise pas mais qu'on accepte. Parce que ça nous plaît. Et qu'on n'a pas forcément autre chose sous la dent, là, dans le moment. Vous connaissez ces moments d'allégresse un peu niaise, je le sais. Et d'un coup d'un seul, une poussière, un micron, un rien du tout grippe la machine et tout s'emballe. Le système se perturbe. La petite chose insouciante et légère que vous étiez s'arrête sur une défaillance minime. Le moindre détail vous rappelle à la dureté: une facture pas ouverte, et on repense à la gueule du banquier le mois dernier quand il vous annonce un découvert. La télévision qui ne s'allume plus, alors qu'on s'était bien gentiment préparé un plateau déjeuner pour avaler lentement le lourd fracas du monde, les tremblements de terre en chine, la junte militaire birmane, etc. toutes ces choses dont on, se fout pas mal au demeurant. Ben non, là, précisément, la télévision ne s'allume plus. On cherche, on tâtonne. Et on finit par fracasser. Le reste suit. Après la télé, c'est une porte qui grince, dont  le bruit nous agace. On décide de la huiler et on en fout partout sur ses fringues. Pas de machine à laver. Plus de pantalon. Demain, rendez-vous avec la direction pour négocier les nouveaux contrats; on sait d'avance – on se persuade – que ce sera raté. Nul. Alors, on frotte la tâche, la serviette n'y suffit pas; on prend l'éponge pour faire la vaisselle, qui gratte, on se dit: ça ira mieux. Là encore, non. Le truc se met à baver, à niquer le futal. Le monde se complique. Putain d'éponge. Putain de porte, putain de banquier. Leur faute. Le Monde prend une majuscule. On lui fout tout sur le dos. Et la journée continue sur le même rythme dégueulasse qui vient de s'ouvrir.

            Alors. Au final. Si je résume. Avec le principe généalogique que je m'étais fixé: ma journée foutue en l'air pour 18, 70?

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