Une histoire de merde

Publié le par Le Déserteur

 

Elle a attendu que je finisse de chialer pour me raconter une histoire de merde. J’ai passé une journée atroce, comme j’en ai pas passée depuis assez longtemps pour que ça m’en fasse couler des larmes en rentrant, seul, après un retour en bus sordide – le chauffeur du bus qui me scrute tout le long du trajet dans son rétro façon yeux dans le dos parce que j’ai pas pris de ticket, fumier.
« Ça va ? »
« Joker. »
« Qu’est-ce qui va pas ? »
Et ça, c’est tout à fait le genre de question qui n’en est pas une, et qui aussitôt rematérialise toutes les merdes qui te sont arrivées dans la journée. Or qui dit trop plein, dit évacuation. Evacuation, je me mets à chialer. Je raconte. Ça prend des plombes, faut relater les détails, relier les parties au tout, argumenter, soulager les tensions en insistant sur tel ou tel fait précis, quitte à grossir le trait, histoire de marquer le coup, de faire sentir l’intensité de la merditude des choses qui  vous accable. Bref je m’étale. Je m’emballe, je fais chauffer la machine, tous les enfoirés de ma journée sont là, devant moi, enflures, qui me bousillent mon paysage mental pendant une journée entière, du début à la fin, l’intégrale. Le « bonjour » du collègue le matin – le bonjour le moins vivant du monde – la gueule d’un auteur sur la quatrième de couverture du livre que je dois me taper en prise de note avant de quitter le taf, le poster de la nana souriant béatement sur la machine à café, les parasites du mail, les angoisseurs, les redresseurs de tort, les fâcheux, tous. Le lundi, le travail, la contrainte, la semaine, l’année. Cette putain de thèse. La vie.


Une fois le déballage terminé, je me retrouve les bras ballants au milieu du salon avec en face de moi une nana qui ne comprend pas un vingtième de ce que j’ai vécu, et c’est bien normal, et qui elle aussi a passé une journée de merde dont elle s’abstient gentiment de me préciser le déroulement. Non, elle préfère me balancer une histoire de merde. Après un court silence qui accuse réception et qui me dit à moi qu’elle est mentalement en train de se ruer sur un truc qui pourrait me faire sourire, elle balance. « Tiens, tu sais ce qui est arrivé au boulot ? En pleine après midi, on a entendu un cri venant des chiottes. L’avocate du bureau d’en face. Elle était partie pisser et elle s’est retrouvée dans un chiotte avec une merde déposée par terre, là, juste à côté de la cuvette. Sans rien autour, nickel propre, juste une simple merde déposée délicatement, juste à côté, sans fioritures, pas de traces, pas d’indices. Juste une simple merde. J’ai remonté le fil jusqu’à elle en suivant les traces de pas de l’avocate, qui avait foutu les deux pieds dedans. »
Point.

Une histoire de merde pour une journée de merde

 

Publié dans Saynètes

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P
<br /> Merci pour ton commentaire de merde! Je n'essuierai pas.<br /> <br /> <br />
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G
<br /> Oscillation entre le palpitant et le pâle-pitoyable. L'un renforce l'autre. Sans la merde, personne n'aurait remarqué que c'était propre autour, n'est-ce pas ? Sans la merde, la propreté n'existe<br /> pas.<br /> Voila. Ajoute à cette collection quotidienne une réflexion de merde. Ca renforcera la propreté des propos.<br /> <br /> <br />
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