Entrons si vous voulez

Publié le par Le Déserteur

   C’est pour rire qu’on rencontre dans l’œil de l’autre l’hier. Un son d’Irène. Petit spot ivre des rives assoiffées, j’étends mes bruits feutrés dans la ville dont le prince est un enfant. Je danse. Je danse sur mon pivot. Ma place ? Celle de tous les autres. Où ai-je bien pu poser mes certitudes ? On n’a pas précisé grand-chose, on m'a donné et c’est déjà pas mal. On ne part pas avec rien, qu’on le loue ou qu’on le déplore. J’ai déjà un paquet à porter. Le mien ? Vous rigolez ! Celui de tous les autres.
Entrons si vous voulez.

  Allez, on allume la lumière. La porte à double battants s’ouvre sur des enfers, pavé crotté jonché de mégots, des corps à terre. Du sang. La lumière, toujours cette lumière en grillage de bleu fer ; les miroirs réfléchissent entre eux mais à quoi ? Je m’interpose et perturbe deux ou trois méditations de verre. On me tape dans le dos. Un inconnu qui me connaît. Bonjour. Ah oui. Au plaisir. Derrière, la porte à double battants se referme. Je rentre et je m’enferme.
  Au son qui se précise, au dessin des songes qui s’affinent, à eux, je sens monter en moi l’Autre. L'A Moitié Nu. Les vêtements me tombent par lambeaux comme ma chair, qui disparaît. Je sens monter en moi l’éther. Et quand j’ouvre la deuxième porte le choc est si déchirant si percutant qu’il m’uppercute au sol. Cicatrice. Se relever, toujours, se relever.
  Et naît La Moitié Nue.
  Face à moi des litres de bière coulent direct des robinets aux lèvres sans bras lever ; des bouches ouvrent des je ne sais où pour je ne sais qui mais on y croit, et si l’on y croit pas, on écoute le doute s’atténuer et crever dans un râle. Il est par terre, piétiné. Pas de place, pas d’espace, le doute est unité quand tout est dispersion, éclat, verre, grillages et fers, multiplication et division jusqu’à fractales absconses. Des rires, des coups, des phrases s'entrechoquent, des codes cartes bleues pétillent de doigts crispés; on hurle, c'est du bonheur ou pur malheur. Peut-être les deux pétris. Devant, derrière, au sol en l'air, partout, le cube implose. Un carré d'air. Fermer les yeux. La Moitié Nue. Un souffle. A droite, l’inconscient git dans un fauteuil. Il médite. On l’entoure – paillettes, broderies et sourires – mais il refuse les sollicitations, il ne pactise pas. Il demeure. Tout le monde le regarde en coin mais personne n’y accède et c’est ainsi qu’il nous malmène. N’empêche : il observe. Il sait. Il a un puissant avantage sur nous et il en joue de ton son être en embrassant ce qu’il désire.
  Je ferme les yeux.
  Tout a changé. Et tout est identique. On a multiplié, on a divisé. L’équation est semblable, juste. J’ai du faire un pas, bousculer quelques corps, toucher une épaule. Sentir une main. La peau. L’appel de la peau. Et la brûlante attraction d’un œil de flamme. On me dira : la vie. Je répondrai : et après ?
  Après: les fusions: la moiteur des furies à foison feu-follant des podiums. Statues mobiles des transes, extases, poses et bras levés tirant le poing vers toute puissance et décadence. Pourquoi faut-il qu’on se malmène ? Pourquoi faut-il qu’il se ramène ? La voix grave des heureux éclate en ombres furieuses, je vois, je vois, je vois, je te vois toi. Trois lettres compactes au centre de la piste noire. Flèches d’acide et cent points en plein cœur. L’impavide rieur a logé mon malheur en sa barbe de nuit picotée de milliers de flashes couleurs primaires pour synthèse additive. Explosion de mélanges. Je vois un ange. Le sol s'éloigne. L’inconscient s’est relevé quelque part. On l’entend. Ses pas sont toujours percutants. Il approche. On le sent, on le voit qui s’approche de moi. Son œil gauche est posé sur ma paume, le droit sur mon front. Il baptise. L’amour est moi et mon émoi.

Publié dans Soirées

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S
Magnifique...vous êtes un grand auteur, j'aimerais tellement vous lire sur un bouquin...croire que vos lettres sont si nobles les unes dans les autres; et trop triste, mais...sans intérêt, de savoir si elles sont aussi belles que vous...
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H
Aouch... Puissantes impressions, lecture laissée grande ouverte, comme une paume tendue, échos multiples et possibles infinis de s'y projeter. Beaucoup aimé, lecture suspendue, comme marcher dans le vide, sur un fil...<br /> <br /> Et ça:<br /> "le doute est unité quand tout est dispersion"<br /> percutant d'esprit (mon esprit percuté en tout cas)
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