On en est là
« Et voilà. On en est là »
Leurs regards surplombaient la scène : moi affalé sur mes coudes, songeur, un peu loin, écoutant la réponse murmurée d’Alex qui divaguait légèrement en oubliant de me répondre. Sa bouche, son visage disparaissaient peu à peu derrière les dernières volutes de fumée.
La phrase était tombée comme une évidence, un constat qui s’impose. Une parole d’évangile : « et voici ». Pur acte de langage. Nous en étions là. C’était on ne peut mieux résumer la situation. Incarner la situation.
C’est comme si tout avait basculé, pris une forme ; comme si tout se figeait dans ces quelques lettres. D’un seul coup, je pouvais dire : « voilà ce qui s’est passé ». J’ai senti comme une décharge dans la partie droite de mon crâne. Nous en étions là. Point à la ligne.
Elles avaient lâché sa sentence baptismale dans un moment de connivence. De leur sphère, elles observaient la notre depuis quelques temps, se sont regardées, et une parole est tombée, ici et maintenant.
Et ce fut tout.
Je me souviens encore de l’intonation de chacune de ces sept syllabes, de leur fatalité mêlée de joie et de peur, de leur éclat performatif. De cette puissante, de cette simple et terrible vérité qu’elles ont fait éclater entre les quatre murs.
Sur ce point du segment, il existe une image
Un paysage flou
Mais pourtant familier
Des ombres Caravage
Une silhouette noire,
Les traits de son visage
Le scintillement précis de trois spots de lumière,
Comme des éclats de verre.
Trois fois dans trois endroits,
Nous avons été là
C’est une éternité sans lèvre et sans paupières
Déployant des mains blanches autour d’un fugitif.
Le temps s’embrase
Et repart à jamais en emportant nos corps.