Ahhhhh ! Noël...

Publié le par Le Déserteur

Les feuilles étaient tombées depuis longtemps et les oiseaux n’avaient plus d’ailes ; des vacances pour la vie. Un éternel. La saison ? J’ai oublié. On oublie vite quand tout se ressemble. Je me souviens quand même du blanc. On devait être en hiver.

Noël.

Tout une époque.

Je hais Noël. Personnellement, profondément. Eperdument. Noël est la pire fête qui soit. Une imposture. Qui dure. Noël, c’est pas juste le 25, non. Ca commence quasiment à la mi juillet. On n’est jamais trop en avance… Noël, ça y est, c’est là en novembre, quand on installe des décorations merdiques qui pendouillent entre les immeubles, que les vitrines croulent sous les babioles de lumière, guirlandes, boules, sapins, petits bonshommes barbus en robe rouge, saloperies de pères Noël ! Ca commence quand il fait jour à trois heures de l’après midi et que le soleil se couche à cinq. Ca commence lors de l’installation de la grande roue sur la grand’place. A ce stade, je m’installe tout le jour durant dans un café qui donne juste en face et je rêvasse à son écroulement, aux barres métalliques s’effondrant dans un fracas horrible sur les pavés, déchirant au passage quelques corps d’ouvriers. Je conçois des plans diaboliques de destruction de l’engin. Je préviens mes amis, je leur dis : « ca y est, c’est Noël : on installe la grande roue ». Ma chère Frédérique, heureusement que tu es là. Toi aussi tu souffres à Noël. Depuis que t’as vu la grande roue, en plus… Et si encore on se limitait à la grande roue. Mais non ! On le plante, cet instrument de torture, au cœur d’un univers de fausse féérie peuplée de nains, d’animaux souriants, de lutins improbables auxquels les mioches viennent se frotter en gloussant. Les petits sauvages. Les flashes crépitent sur leurs joues rougies, on dira quelques années plus tard : « c’était à la grande roue, le 25 » comme si ça devait être un passage obligatoire de fin d’année. Moi aussi j’y suis passé. Quand je les revois, les photos, ça me fait gerber. J’ai l’air tout joyeux, mes parents aussi. Quelle blague. Mais bon, faut y aller à la roue, c’est Noël ! Tiens, voilà ce que c’est Noël, c’est o-bli-ga-toire. Pas que je sois musulman ou juif ou témoin, une connerie de ce genre, non. Je suis un homme, c’est tout. J’ai droit, moi, de pas être béat un 25 décembre, de pas pousser des petits gloussements de contentement, j’ai droit, moi, de pas me réjouir à la perspective d’absorber en une journée le gras que j’ingurgite même pas en un mois. Noël ça coule, c’est des lipides en trop. C’est trop. Du gras. Une rivière de gras. On s’y noie. Et on sourit s’il vous plait.

 

Je revois très bien la situation. J’entends encore des cloches au loin, très au loin. Je crois même les avoir inventées. Histoire de peupler le champ de mes errements.

Histoire d’éviter la grande roue.

Le souffle du vent. Une lune. Le ciel. Le noir. La nuit. L’univers où je vivais. Où la vie se donnait à moi en écho douloureux.

            Je savais bien que ma situation ne pourrait durer. Autant en profiter alors. Prendre un peu là où il y avait encore à prendre. Jusqu’à quand ? Bof, aucune importance, l’essentiel était quand même d’en être arrivé là sans trop de douleurs. Et d’envisager la suite de la même manière. Avec un peu d’optimisme. C’est Noël non ?

 

On devait être aux premières installations de l’armature. On plantait le décor quoi. Mi novembre. J’étais comme un point vivant sur un segment abstrait, un vague repère sur un trait vaguement droit. L’idée d’une coupure. Les séparations amoureuses, on a beau dire, c’est quand même quelque chose. J’avais encore en songe le dessin d’une épaule, la courbe d’une cuisse. Autre chose que ces poutres à la con. Je vivais avec des pensées, ces pensées. Avec les siennes.

            Je venais juste de comprendre une chose fondamentale au XXIème siècle : la solitude n’est pas une fatalité. C’est une donnée essentielle des relations humaines. J’ai suivi quelques cours de sociologie, et il me semble, du moins c’est ce qu’il m’en reste, que je suis tout à fait en accord avec mon époque. Pourquoi la sociologie ? Disons qu’après 7 ans de psychanalyse, j’ai appris à reconnaitre en cette discipline une impitoyable école d’égoïsme : le moi pour seul fondement, comme unique moyen de compréhension du monde. Ras le bol d’être seul, ras le bol d’être moi. Plein le dos du moi. Alors j’ai arrêté la psychanalyse et je me suis mis à la socio. Au moins ça me donnait l’impression d’appartenir à un groupe.

 

            La France qui souffre. Vous connaissez ? A Noël non, évidemment.

Je suis tombé en panne de bagnole un soir de Noël, juste devant une église qui se remplissait de fidèles. Longs manteaux noirs, bras croisés, tête grasse et baissée. Qui m’a aidé ? Personne. Un semi clochard a jeté un regard vers moi et a vomi.

Maigre consolation.

J’ai d’autres souvenirs de Noël de cet acabit.

 

J’erre donc entre des visages bouffis. Rien n’a de sens. Je les vois tous enlacés, et moi, je suis détaché de moi-même, ailleurs. Je regarde les pavés défiler sous mes pas. Je suis comme chacun d’eux, délimité, et absurdement rattaché aux à mes contemporains par une couche de ciment sans relief. Mais j’avance. J’ai donc une direction à imprimer à mes pas et j’éprouve le sentiment de ma liberté.

            De cette putain de liberté.

            A Noël.

Publié dans Des jours en désordre

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