Trou du cul, va.

Publié le par Le Déserteur

   Il m’avait pourtant dit « ce sera qu’une anesthésie locale. Pas de générale pour ce qu’il y a. Pas besoin. Je vous fais ça au laser en dix minutes et on n’en parle plus ». On aurait beau ne plus en parler, c’était quand même de mon cul dont il était question. Pendant qu’il tentait de m’expliquer savamment le protocole opératoire qu’il allait appliquer sur ma terminaison muqueuse, je voyais juste ses cordes vocales s’agiter dans l’air et constatais que sa peau était anormalement orange pour un gastro-entérologue. Mais j’en connais pas beaucoup, donc pour moi, l’orange est constamment associée à la gastro-entérologie depuis. Ça pose pas mal de problème, surtout dans les soirées-cocktail, halloween, ce genre de trucs oranges. Ça évoque toujours un souvenir désagréable. « M’entendez ? ». Ouais, ça va, je t’entends, c’est pas mes oreilles le problème que j’ai voulu lui répondre. « Bien, je poursuis ». Et il poursuivit.
   Il m’a emmené dans un cabinet attenant au sien, dans lequel il « auscultait ». Comprenez par là qu’il y passait le plus clair de son temps à examiner des trous du cul. Il m’a demandé de me tourner sur le côté, vers la gauche, et m’a enduit le conduit d’un peu de gel. Très délicatement, il a introduit sa sonde. Pour ne rien vous cacher, c’était presque plaisant. A un détail près : tandis qu’il me pénétrait plus avant, je tentais d’assumer l’humiliation. J’acceptais l’épreuve et cessais de dissimuler ma gêne en me cachant la face ; je parcours du regard les ustensiles accrochés au mur, certains laissent aisément deviner leur usage par leur forme peu équivoque, d’autres, courbés, pliés, en métal ou en plastique, suggèrent des fantaisies bien plus exotiques sur lesquelles je m’appesantis quelques instants. Quand je suis frappé par la présence d’un objet dont l’existence ne m’est pas inconnue. Je le considère sérieusement, mais je ne parviens pas à saisir le truc. J’ai une forme sans contenu. Je n’imprime pas. Et puis d’un seul coup c’est comme une révélation : j’ai en face de moi : un chausse-pied, trônant seul, au milieu des ustensiles de l’orange qui me fouille le cul. Je ne sais pas si vous vous imaginez l’impression, l’empreinte, que peut laisser une telle association d’idées – le chausse-pied et mon trou du cul –, et je vous fais grâce des miennes.

   Pourtant il y aurait beaucoup à dire. Pas seulement sur mon trou du cul, mais sur tout ce qui l’entoure. C’est-à-dire moi. On peut bien sûr commencer un récit par des incipits plus « classiques », genre : « Ma mère », etc. Moi, je commence avec mon cul. Parce que 1) c’est dans l’air du temps. Et 2) c’est par là que j’ai disparu. Ça constitue un motif d’écriture tout à fait légitime.
   Et puis, en rapport avec le sujet justement, notez que j’en ai connu des mecs qui ont débuté dans la merde et qui ont fini au pinacle. Ça aide, paraît-il ; enfin dans la mythologie du romancier. Ce mec, là, que j’ai rencontré au mois de décembre au café de la Contrescarpe, il a eu sa petite heure de gloire à lui à une époque, tout ça en commençant par écrire un bouquin qui s’intitulait « L’étron blanc ». Une divagation métaphysique sur la merde pour dire les choses franchement. Son petit Traité de coprophagie comme il l’appelait, il l’avait jeté négligemment devant l’éditeur qui lui promettait une publication, je sais plus son nom. Le mec était complètement explosé. Plusieurs fois au cours de la soirée il m’a demandé si j’avais pas de la coke. Moi j’avais rien du tout, j’étais terrorisé. Il me regardait dans le fond des pupilles en prétendant qu’elles étaient vachement dilatées pour un mec qui est pas cocké.

*

   L’anesthésiste a du merder sur le dosage. Parce que je me suis pas réveillé. Je sais pas exactement ce qui est arrivé, j’avais rien changé à mon mode de vie, mon alimentation, ma pratique sportive, toutes ces conneries qui comptent. Si. J’avais arrêté de fumer. C’est pas rien. Et dans le même ordre d’idées j’avais arrêté le café aussi. Je me souviens même que sans l’excitation que me procuraient la nicotine et la caféine je m’endormais partout, je devais frôler les quinze pulsations minutes. Un truc proche de la limace.

   Quelque part, je suis peut-être le premier mec à être crevé du trou du cul pour avoir arrêté la clope.

Publié dans Des jours en désordre

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N
Je suis navrée de faire ta connaissance où plutôt celle de ton cul, juste au moment où tu disparait à cause de lui ! <br /> Ah ! Que merdasse... Je sens que nous aurions passé de bons moments à patauger dans notre crotte quotidienne !!<br /> Je reviendrai toutefois, voir, si par quelques tour de passe passe, tu serais revenu à la vie !<br /> Amicalement<br /> Nettoue
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