Comment ça va?

Publié le par Le Déserteur

 

« Comment ça va? »
« C'est lundi, bordel de merde! »
Les gens ont de ces questions, le lundi. Me demander si ça va, un lundi... et puis cette expression: « Ça va? » Tout le monde s'en branle si ça va ou pas. T'as à peine répondu que les mecs sont déjà barrés – alut! » En plus non ça va pas forcément très très bien en ce moment, j'ai des petites emmerdes avec Murielle qui sait pas si elle va, mais en fait c'est plus compliqué que ça parce que mon beau-frère d'Arcachon, là, si, tu sais, le con, bon, ben il débarque mardi et... » Et rien du tout y a plus personne. T'es tout seul. C'est con. Con comme un lundi.

Lundi bordel de Dieu. Mon nouveau coloc arrive ce soir. J'ai un peu peur, c'est normal: c'est une expérience humaine. Puis c'est lundi. J'ai des idées louches, pas très claires dans ma tête, à son sujet. J'aurais pas du regarder les 4 Alien en version longue la semaine précédant son installation. L'intrusion d'un corps étranger, le xénomorphe, l'Autre, tout ça... J'aurais mieux fait de me taper L'auberge espagnole.

Lundi bordel de merde. J'ai rendez-vous avec mon médecin (les deux siens), mon docteur, mon docteur au nom de chenille. Avec les tarés de l'hôpital de jour qui s'agglomèrent en nuage de fumée devant l'hosto – la nana qui suce son cigarillo, les yeux vides.
Dans la salle d'attente, une femme.
« Ah, que j'ai mal au dos, que j'ai mal au dos... un lumbago » (Ça y est, elle avait lâché le concept)
Une autre femme (parce qu'elle sont deux).
«T'as pas des soucis en ce moment? »
« Si, plein. Y a Marcel qui... » et la voilà partie dans l'étalage de son quotidien boueux, le sien, le nôtre. Le mien. 
« Lumbago, moi, ça me fait penser à plein le dos », qu'elle lâche. « C'est le truc du triptyque. C'est le « tryptique Psycho / Affectif / Corporel ».
Je sors de là en courant. Devant moi place Rihour une femme tombe, littéralement. Et s'écrase le front sur le bitume clac! Je la relève. Vous allez bien?
« Ça va »
Celui-là au moins, il aura servi à quelque chose.


Lundi.


Rien qui sort de moi depuis 5 jours. Éteint. Off. HS. Je suis au fond mon pote. Un Tranxen – et tout décolle. Je vole jusqu'au taf, saute dans un bus – salut Marie! – je descend très vite me trompe de station – et mon coloc qui arrive ce soir – je me bouffe les ongles. Entre temps je reçois un coup de fil de Frède, oui, c'est normal, c'est prévu que ce soit la merde au début, c'est dans le planning de l'horreur. Je suis ravi de l'entendre.
J'arrive à la fac. Une flash-mob est organisée par les mecs du service sportif pour sensibilier les jeunes à la pratique sportive. Une flash-mob comme méthode de communication institutionnelle, putain, je prends note. Mon pote qui me glisse: « T'es pas bankable t'as pas de sub' ».
Lundi.


Je discute avec mon pote psychologue. Il me parle d'un étrange et poétique symtpôme de déficience cognitif: « l'aphasie de Broca ». en gros, un mec atteint de l'aphasie de Broca ne peut plus prononcer certains mots, donc il est obligé de les faire devnier par métaphores, paraphrases, ou néologismes. Exemple: au lieu de dire « Nous sommes lundi 11 octobre », il compose « Nous sommes lundi 11 novembre mais en 10 ». Subtil. Et poétique. J'ai un peu envie de me choper une aphasie de Broca sur le coup. De composer un poème surréaliste. J'oublie.
Je rejoins deux amis, Mathieu et Frédéric. Ils font connaissance sous mon regard absinthe. Frédéric, étonnamment, est d'un optimisme déprimant. Je défends Schopenhauer, le monde est volonté et représentation et rien d'autre parce que c'est l'essence même de la modernité la volonté et la représentation, voilà. Lui, il est antimoderne, ça le contente. Moi je lui réponds que je suis pas réac, je suis juste un moderniste apathique.
...

Et ils se considérèrent.

...

Nous abordons dérivons sur la psychanalyse – « C'est mauvais mes mecs, c'est mauvais... ». et Fred raconte comment il s'est présenté à sa nouvelle promo de droit international des affaires en anglais pour devenir avocat d'affaire, parce que c'est bien, les avocats d'affaire. Il s'est levé et a déclamé à l'assistance médusée: « My name is Fred. I like read, and I dislike... alarms ». L'alarme incendie s'est mise à résonner dans toute la fac au même moment. Ce fut tout.
Et moi? Je fais quoi ce week-end? J'acceuille Bertrand? Je vais à Dunkerque? Je vais voir ma marraine? Moi? Je vais au cinoche? Ring? Bof, je sais pas.
Mon coloc arrive; il doit avoir peur.
« Je peux te poser une question sur ton intimité? », me dit-il sur un ton timide. « Tu prends de la protéine? »
« Euh... ouais... des fois
Fin de la conversation


Lundi.

Publié dans Des jours en désordre

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