Que faire après la rentrée littéraire?

Publié le par Le Déserteur



Dormir. 
Se réveiller. 
Prendre du Lexomil. 
Dormir.
Ne plus lire Houellebecq.
Fermer sa bibliothèque, ses journaux, sa télévision – ses plateaux débiles.
Dormir. 

Acquiescer à des idées simples, formelles, digérables. Méditer sur la possibilité d’un retour de l’optimisme chez Pascal Bruckner. Ouvrir Le mariage d’amour a-t-il échoué ?, chez Grasset:« Le XXème siècle avait émancipé les cœurs et les corps dans un souci d’harmonie ; il en résulte un surcroit de discorde. Que s’est-il passé ? Le palais enchanté de l’affection réciproque ne serait-il qu’une mesure délabrée, ouverte à tous les vents ? » Ne plus méditer sur cette possibilité. 

Suivre la lente et gentille spirale de la loose, du décadentisme, de la dégénérescence, de la mort de tout, et donc de la littérature. Considérer Richard Millet un instant, etL’enfer du roman, chez Gallimard. « Éliminons d’emblée l’accusation de cassandrisme, de déprimisme, de déclinisme, pour employer des néologismes suscités par ce qu’on appelle la crise (…). J’ai trop conscience de la doxa pour redéployer le topos de la décadence de la littérature française. Dois-je le répéter ? (si tu veux Richard) : ce que je dis de la France vaut pour toutes les nations ; c’est de littérature en tant que telle qui est en train de s’éteindre, partout, pour avoir noué avec le seul roman un pacte servile. L’idée de décadence n’est qu’un motif du nihilisme, et la littérature celui de l ‘épuisement des langues – la mort littéraire des langues, la littérature ne pouvant plus rendre compte de sa propre disparition autrement que par l’inflation romanesque où s’achève l’immense songe qu’elle fut (et sinon le songe même, du moins une manière de s’y abandonner. »

Prendre du Lexomil ; s’y abandonner. Soma. 
Se réveiller, prendre un café (y inclure une dose de rhum blanc)
Se rappeler que le supplément « d’Estaing » à Giscard, n’appartient pas à ladite famille depuis des temps immémoriaux. Se rappeler aux souvenirs d’autres impostures, littéraires celles-ci, de la rentrée. 
Rajouter du rhum.

Ouvrir une page au hasard d’un livre à couverture atroce où posent immondementJean Paul Sartre (et sa laideur au confins du handicap) et Karl Marx, Une histoire politique des intellectuels, un pauvre essai d’Alain Minc, encore chez Grasset (mais que fout ce mec dans mon café ?). Constater : « pourquoi les intellectuels français se sont-ils mis, au fil des décennies, à penser de plus en plus faux ? » Stop, j’arrête là : parce que t’existes, Alain. 
Reprendre du café. Poursuivre malgré tout : « Je n’ai ni l’outrecuidance de juger ni leur talent d’écriture, ni leur puissance créatrice, ni leur génie artistique, mais je me contente de les observer au trébuchet de l’influence qu’ils ont voulu exercer sur la société de leur temps et des opinions qu’ils n’ont cessé de proclamer ». « Au trébuchet de ». Trouver cette expression jolie. Ne retenir que ça d’Alain Minc.

Vomir. 

Ouvrir les fenêtres. Entendre les masses hurler slogans et chants syndicaux. Allumer sa radio. Découvrir le Monde, avec sa majuscule. Penser à sa retraite. 
A l’impossibilité d’une retraite. 

Penser à l’impossible (se croire perpétuellement jeune, beau, et en bonne santé ; un bon nazi quoi). 
Tenter une incursion ethnographique distanciée dans le monde des hommes. Suffoquer un peu. Prendre peur. Rentrer chez soi lire del Castillo. Ou pas.
Consulter ses 8 millions 376 mails. Les supprimer tous. Détester violemment Alain Minc. Lui écrire une lettre d’injures dans la foulée. 

« Monsieur Minc,

Voilà bientôt pas mal d’années que votre prose arrose pour je ne sais quelle raison absurde ma bibliothèque de vos promenades intellectuelles fadasses de grand bourgeois mou et balladurien. J’ignore si vous savez que si je prends en compte le temps perdu à feuilleter ce que j’oserais appeler vos déjections théoriques, si j’ajoute à ce temps – déjà perdu – celui consacré à stocker momentanément vos ouvrages dans mon 75 mètres carrés de livres, pour enfin trouver une place légitime au fond du fond de ma bibliothèque, et qu’enfin si j’ajoute à ce temps le temps perdu à ranger les autres livres plus nobles (ce qui n’est tout de même pas mal, vous faites monter le niveau de ma bibliothèque), j’obtiens le chiffre hallucinant de 14, 7 secondes. Si maintenant je multiplie ce chiffre à 1, 421, j’obtiens le résultat suivant arrondi au supérieur : 20,90, qui, converti en euros me donne le prix de votre décidément pénible ouvrage symptomatique, oui, de la disparition des intellectuels. Avouez que c’est décourageant. Je ne vous dis pas bonsoir. »
Supplier qu’Alain Minc agrée à l’expression de tout un tas de trucs positifs.


Reprendre du café (y reste du rhum, chérie ?).

S’attaquer à Gilles Paris une bonne fois pour toute, maintenant qu’on est lancé.
« Monsieur Gilles Paris Editeur puisque telle est votre dénomination (connaissez-vous un certain d’estaing ?).
Je ne vous connaissais pas, vous non  plus, et tout allait très bien. Jusqu’au jour où vous frappâtes à ma porte. Bonjour, vous dis-je alors je crois. Souriant et alerte, vous me tendiez vos deux terminaisons membrées contenant un paquet, paquet dans lequel, et sous un emballage très sérieux, paquet, dis-je qui renfermait, je l’avais un peu deviné, un livre. J’ouvre. Et stupéfaction. Scandalous, Britney Spears, d’un certain – ça ne s’invente pas – Enguerrand Sabot. 
J’ai ri.

Puis j’ai moins ri à la lecture de la 4ème de couve.  « Star de fin de millénaire, Britney Spears a incarné le rêve américain en prônant des valeurs puritaines, la chasteté avant le mariage… elle tombe amoureuse d’un danseur sans le sou qui voit dans ce mariage une belle opération financière. Deux ans après une union pas toujours idyllique, le couple se sépare avec pertes et fracas. Exit lolita, bonjour Lolitrash». C'était plié.
J’ai tout de même un peu ri. Pertes et fracas…

Dans les jours qui suivirent, ce message : «Monsieur Poucet, comptez-vous faire une chronique de l’ouvrage que nous vous avons envoyé en service de presse, Britney Spears, Scandalous ? »
Rires (encore). Oui, Gilles, c’est ce que je suis en train de faire, te voici donc comblé. Je ne te dis pas bonsoir. D’autant que tu t’es encore fendu d’une petite perle en m’envoyant pas plus tard qu’il y a je ne sais plus combien de temps, ceci : Amusez-nous, d’Annie Lemoine, qui, oui encore, m’a beaucoup amusé. Il cale aujourd’hui le pied de mon armoire de cuisine. Qu'est-ce que j'en ai à foutre, d'Annie Lemoine? 
Alors voilà Gilles Paris Editeur, arrête. Arrête, ou reconvertis-toi dans la réorganisation livresque mobilière des 75 mètres carrés d’intellectuels précaires bibliophiles (des doctorants, ou ce genre de trucs). Et évite de me demander si un jour je chroniquerai des ouvrages que tu crois – mal – susceptibles d’intéresser leRing. Je ne te dis pas bonsoir non plus. »
Envoyer des salutations aléatoires.

Souffler. Respirer. Fermer les yeux. Penser. Panser. 
Y a plus de café. 
Alternative pis-aller: partir travailler.
Revenir épuisé. 
Prendre du Lexomil.
Dormir. 
Se réveiller en février, après la rentrée de janvier. 
Dormir.


Bonsoir.

Publié dans Des jours en désordre

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D
<br /> <br /> Bienvenue dans la communauté et le bonjour de Haguenau en Alsace<br /> Doc<br /> <br /> <br /> http://www.dorffer-patrick.com<br /> <br /> <br /> <br />
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